21 SEPTEMBRE
Au Diamant
j'ai salué tous les crabes
compté les traces et les absences que tricote l'écume
et si les raisiniers ont stoppé leur provende
reste
hors mesure hors saisons
toute de bien-être et de beautés
la récolte sans archives des jeunes algues et du sel
(Cher maître,
j'ai vu dans le langage des grand miroirs du sable
j'ai vu s'achever ce que poursuit le malfini
et que l'oiseau Cohé ne saurait même prophétiser)
Tout est tellement vivant.
Patrick CHAMOISEAU
"Rien n'est vrai, tout est vivant."
"Je te parle dans ma langue et c'est dans mon langage que je te comprends." (Le Discours antillais)
"Pour Édouard qui est toujours près de nous,qui vit en nous, ces mots qui sont les siens et que nous faisons nôtres : "Agis en ton lieu,pense avec le monde" et je l'entends nous les dire à Eget, près de la cheminée.
Une autre phrase d'Édouard qui me guide dans mon oeuvre : "La frontière est comme un sable toujours mouvant,mais qui, loin d'engloutir les contraires qu'elle a suscités ou surpris tout à l'entour,les dilate,les expose à l'infini de son bouleversement". (Faulkner, Mississipi)
"Édouard Glissant inlassablement dans ses pensées, a su faire glisser ce champ d'eau venu des Mornes et les canaliser vers la Lézarde ( Plaine du Lamentin) avec à la clé le Prix Renaudot. C'était le roman La Lézarde de 1958. Ensuite, ce fut pléthore d'essai de romans, de poésies ( Soleil de la conscience, Le Tout Monde, Le Sel Noir, Les Indes, La Terre inquiète, Ormerod... Voyageur infatigable de la relation, maître penseur du Tout Monde, conscient de la créolisation, il fait sauter les verrous du langage bilingue et multilingue dans leur rigidité. Martiniquais, il a su dépasser ces îles archipéliques et leur redonner leur place dans le monde qui par son imaginaire a favorisé une prise de conscience d'un monde multi-être, multi- race, multi-peuple, multi-nation, multi-langue, Tout monde. Aujourd'hui, je crois que presque tout est créolisé. Merci du cheminement et de la trace glissantienisée, pour les générations à venir et pour le monde de la création."
“La relation dans l’entour nous emporterait à néant si nous ne disions pas sa multitude.Vivre le monde:éprouver d’abord ton lieu,ses fragilités,ses intuitions,son pouvoir de changer,de demeurer,
Ses politiques...Vivre le lieu, dire le monde, aussi bien.”
Édouard Glissant – Philosophie de la Relation
"Un petit fragment (la fin) d'un très beau texte qu'Edouard avait écrit pour une expo que j'ai faite à New York en 2000. Le titre du texte est "Dans l'infini de la maison" :
..."les masques aux mille miroirs éclatés, ou nous hésitons à nous voir, et les humbles et tenaces reflets que nous surprenons alentour, qui nous permettent de réfléchir ."
Les mots d'Édouard qui me touchent sont innombrables.
Mais puisqu'il faut choisir, je retiens ceux-là, inspirés par les rochers de Robben Island, où fut incarcéré Mandela et qui invoquent une mémoire plurielle :
"Levant de l'ombre une lumière et de la lumière une nuit, et de la lumière une première nuit, Indiens Zoulous Noirs Métis Blancs et Arabes et Juifs et malgaches autant que Chicanos, et tant d'oiseaux, tant de ces oiseaux, immigrants et passeurs de frontières."
(Une nouvelle région du monde, p. 139)
"Un écrivain sans frontières, un poète illuminé par le talent de toutes les natures caraïbes y compris les plus belles du monde entier, c'est-à-dire, du Tout-Monde. Comme un explorateur au bout du souffle il nous a donné les leçons les plus sages et ouvertes sur toutes les îles."
"Allouer à l'éloge une géographie souterraine, d'où les ruptures ne s'effacent pas... Rappeler voyants et demeurants, qu'ils se reconnaissent entre eux...
Mon temps s'est pris à leurs images : pays et bois qui me hélèrent, sables où j'ai erré.
Leur offrir un convenir de langage et d'obscurité, par où perdure en un tout l'imprévu de la parole : comme d'une épaille grandissant ses lunes, sur des ombres toujours sculptées."
Édouard Glissant, Fastes, Poèmes (Editions du GREF, coll. Quatre-Routes N° 1, Toronto, 1991)