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BANDE-ANNONCE Le Gang des Antillais, Jean-Claude Barny (2016)

Le contexte historique :

le BUMIDOM

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L'histoire du Gang des Antillais retrace la dérive d'un groupe de jeunean Antillais dans un contexte particulier, qui est celui de l'émigration massive vers la Métropole de centaines de milliers d'ultramarins, à la faveur de la mise en place en 1963 par Michel Debré, du Bureau des migrations dans les départements d'outre-mer (BUMIDOM). Une histoire relatée dans l'excellent document de Jackie Bastide (2010), BUMIDOM, des Français venus d'outremer.

À cette époque où je relisais Malamort et Dézafi, j'ai vu des livres en prison. Au centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis. Bâtiment D2. Je n'avais encore publié aucun ouvrage ; quelques-unes de mes pièces avaient été jouées au théâtre et mes illusions sur la valeur de mes poèmes s'étaient quelque peu estompées ; le roman ouvrait donc pour moi ses possibles inépuisables. Intervenant comme éducateur, mon approche du travail social auprès des jeunes incarcérés écartait toute présence du livre ou de la littérature. Là, j'entrais, me semblait-il, dans l'univers de la non-lecture par excellence : territoire des urgences, des détresses sans horizon, des angoisses et des handicaps additionnés. Là, j'éprouvais, à chaque heure de chaque jour, l'asphyxie des impuissances La littérature, le livre, la lecture, l'écriture demeuraient dans mon espace domestique, au centre d'une lutte menée à mes cahiers et mes romans rebelles à naître. C'était mon oasis hors du monde pénitentiaire, hors du monde tout court, où je réfugiais un dialogue avec Malemort et Dézafi : le professionnel et l'écrivain n'étaient pas du même bord de cette ligne d'apartheid.


Ma trajectoire m'avait conduit à écarter la littérature de la réalité ; je l'avais vue y devenir « utile », perdre son sens hagard au-dessus duquel le créateur lui-même reste en vertige La lecture, elle, demeurait pour moi reliée à l'écriture, dans le continu d'un plaisir atmosphérique de l'imaginaire. Ainsi, à mon arrivée dans cette prison, j'avais jeté sur la bibliothèque un œil indifférent. C'était une petite pièce dont les vitres renforcées donnaient sur une savane miteuse parfois utilisée pour des manœuvres sportives. Elle opérait la jonction des ailes du premier étage. Deux détenus y travaillaient, parmi des livres couverts d'une toile bleu foncé. Ces livres provenaient de l'administration centrale selon des règles qui n'intéressaient personne. Quant à la bibliothèque, son fonctionnement relevait des ténèbres. Ces livres emprisonnés, bleutés, choisis par un fonctionnaire des sous-sols du ministère de la Justice, ne me semblaient plus être des livres. Leur bleu les projetait hors des littératures. Ils rejoignaient ces hommes emprisonnés : en décalage avec leur être — et semblaient participer des utilités coercitives du barreau, de la grille et de la serrure. J'étais soucieux d'un travail social en rupture avec ces livres emprisonnés, ces livres domptés.


Un jour, le surveillant-chef me fit appeler. J'étais surpris car la chose était inhabituelle : entre le personnel de surveillance et le personnel éducatif, se cultivaient d'infranchissables distances. Chacun se drapait d'une légitimité exclusive, et accablait l'autre d'indifférence narquoise. Les éducateurs voguaient entre les surveillants comme des vaisseaux fantômes. Leur apparition déclenchait des silences, on ne leur parlait pas, ou très peu. Ils devaient fluer entre les rigidités sécuritaires de la détention, sans onde dérangeante. Mais, ce jour-là, le surveillant-chef était embarrassé. Il venait de recevoir au courrier, dans un colis de victuailles, un petit ouvrage destiné à un détenu La provenance étant martiniquaise, il s'inquiéta de mon avis quant à son introduction dans la détention. À la vue de l'ouvrage, j'éprouvai un choc : le Cahier d'un retour au pays natal, d'Aimé Césaire L. Ce livre avait été commandé par un jeune Martiniquais, emprisonné depuis déjà six mois, quelque peu taciturne, et consacrant ses heures à lire. Je révélai au surveillant-chef qu'il s'agissait d'un grand poème lyrique, acte fondateur de la Négritude littéraire, et planche d'appel de la littérature des Antilles créolo-francophones. Je lui expliquai en quoi Césaire était un des grands poètes de ce siècle (il m'arrive parfois de songer à cette scène surréaliste : un éducateur et un surveillant-chef parlant de poésie dans le cagibi d'un vaguemestre de prison). Je lui proposai d'acheminer moi-même l'ouvrage à l'intéressé. Après l'avoir feuilleté, cherché quelque inscription suspecte mêlée au texte d'imprimerie, sollicité la tranche à la recherche d'une lame, d'une pincée de drogue, ou de je ne sais quelle contrebande vicieuse, le surveillant-chef me confia le livre avec un semblant de sourire (l'administration pénitentiaire devrait mobiliser la poésie pour rapprocher ses personnels).


Dans la cellule, je découvris un jeune Martiniquais, au visage dur, volontaire. On lui reprochait une série de braquages (bureaux de poste et banques) à la tête de ce que la presse avait nommé le « gang des Antillais ». J'oublie les termes de notre première conversation. Il était méfiant. Un peu hostile. Il ne connaissait pas la littérature, n'avait pas vraiment lu. Le refuge des livres lui permettait d'éviter les promenades où les loubards se chamaillaient. Chose naturelle loin d'un pays natal, il rechercha des ouvrages consacrés aux Antilles. La bibliothèque en étant dépourvue, il en commanda auprès de sa famille.

C'est ainsi qu'il reçut le Cahier.

Je lui en parlai sur mode de confidence honteuse : l'éducateur répugnait à introduire une présence littéraire dans un tel endroit. Le Cahier, lui dis-je, est un ton, une force, un vouloir flamboyant qui peuple le silence des êtres dominés. Je lui promis qu'il y serait sensible. Cela se produisit. Je prolongeais mes tournées cellulaires en sa compagnie. Je lui signalais des livres, et lui en apportais secrètement : Naipaul, Carpentier, Lezama Lima, Roumain, Stephen Alexis, Guillén... Sa cellule se remplit de la Caraïbe, puis (avec Faulkner, Amado, Màrquez, Roa Bastos, Asturias...) de l'Amérique des plantations. Ce fut un beau renversement : nous ne parlions pas de procédure pénale ou de contrats sociaux, mais de littérature. Je n'étais plus Éducateur : j'étais devenu ce que j'étais, désormais riche du paradoxe qui veut qu'on ne devienne éducateur que lorsqu'on cesse de l'être.

Chose étrange, je ne lui parlai pas tout de suite de Glissant ou de Frankétienne.


Le vieux guerrier me laisse entendre : ... j'ai connu des prisons de pierres, de bambous, d'acier. J'ai connu des cellules où l'on oubliait toute idée de lumière. J'ai connu la chicote, la gégène et le fouet. Là, j'ai souvent eu le temps de penser à ce qu'ils nous faisaient... (il soupire, lamier brûlé)... Pour rendre le monde transparent, ils durent christianiser éduquer civiliser unifier universaliser rationaliser l'Autre. Ramener les diversités obombrées aux clarifications asservissantes de leur regard... (il rit) ... Sois prudent devant les idées de « civilisation », de « rationalité » ou bien d'« Universel » : elles peuvent tirer pour dominer. — Inventaire d'une mélancolie.


À mon nouvel ami, j'évoquais les effets de l'écriture sur moi. L'idée me prit de lui suggérer d'écrire son histoire. Sa situation, sa cellule, le poids irrémédiable de la détention, sa rancœur d'exilé, ses tumultueux périples contre les policiers semblaient propices aux narrations. Il eut du mal à me croire. Je lui offris un cahier. Les merveilleuses pages blanches produisirent leur effet. Il écrivit sans doute une phrase, puis une autre. Moi, l'encourageant à se moquer de grammaire syntaxe et orthographe, à faire roussir la feuille de ses brûlures intimes : le soir qui tombe sur la cellule ; barreaux strieurs de ciel ; le tourment cellulaire au baromètre du givre nocturne ; les bouffées du chagrin ; les saignées suicidaires ; les cavalcades de gardiens en alerte ; le rythme des grilles et des divers chariots ; le temps brisé, gisant ; l'espoir qui fait soleil dans une simple carte postale ; l'éther d'amour dans une lettre censurée ; les fenêtres disposées comme une croix crucifiante ; conscience de l'œilleton ; l'immanence métallique de l'interphone ; le flot de ses souvenirs aventureux...


Mon ami emprisonné se prit au jeu. Les pages du cahier se couvrirent. Il lisait. Il écrivait. Lisait. Ecrivait. Mes récentes amitiés avec le surveillant-chef lui décrochèrent une machine à écrire. Il y passait ses journées, ses nuits. Cette sérénité lui permit d'obtenir un poste enviable aux magasins. Il allait ainsi écrire un roman (Le gang des Antillais) que je parvins, quelques années plus tard, à faire éditer aux Antilles. En le voyant écrire, j'eus conscience du potentiel de la lecture-écriture dans une situation extrême. Mon nouvel ami s'était reconstitué une densité qui annihilait la frappe carcérale. Il n'était plus en rancœurs, mais en vouloirs. Il se projetait en confiance. Il irradiait d'un charroi d'énergie. Je pris donc la gestion de la bibliothèque. J'obtins de l'administration centrale des ouvrages dans les langues présentes en détention. J'instituai des tournées de livres dans chaque cellule. Les détenus lisant peu, je les appâtai avec des romans policiers, des bandes dessinées, des ouvrages illustrés que je mêlais aux autres. L'objet-livre intégra ainsi leur quotidien La bibliothèque connut une vie particulière qui parfois troublait le mortuaire carcéral. Elle s'était transformée en nœud vivant de relations bien peu réglementaires. Les livres emprisonnés diffusèrent une dramatique secrète qui auréolait d'une grâce insolite mes pauvres interventions éducatives auprès des détenus. J'ai vu — ho ce souvenir !... des livres en prison.


Le vieux guerrier me laisse entendre : ... moi aussi, quelquefois. Mes geôliers s'en servaient pour me briser les côtes. La gifle d'un livre est toujours redoutable. Mais, à travers quelques ouvrages rencontrés en cellule, je mesurai l'étonnante diversité des hommes. Le colonialisme brutal des États-Territoires allait vaincre les nomades qui suivaient l'herbe et l'eau, vaincre ceux qui se disaient simples gardiens de leurs terres, ceux qui célébraient connivence avec la terre offerte, ceux qui se pensaient au centre du monde sans qu'une poussière leur appartienne, ceux qui pouvaient accueillir des êtres étranges venus de l'horizon, ceux qui ne voulaient régner que sur leur seul esprit, ceux qui, partenaires des dieux, ignorèrent les avancées conquistadores... (il soupire, sel chaud)... j'ai pleuré dans de nombreuses cellules sur des livres-témoins... — Inventaire d'une mélancolie.


Il m'arrivait de le trouver en train d'écrire. Tout le poids de sa vie, la mort pénitentiaire rôdaient dans ces feuilles noircies par sa machine. Les livres s'accumulaient sur sa tablette. Au-delà de sa tombe cellulaire, il accédait à d'infinis espaces La détention déclenchait de nombreux livres en lui de manière sans pareille. Il me parlait de ses auteurs aimés, de chapitres qui le fascinaient. Des auteurs pour moi insignifiants prenaient en lui d'inattendues ampleurs. Je ne m'étonnais de rien. Je contemplais juste une vie qui s'ébrouait. Sans doute à cause de cela, je lui parlais de Malemort et Dézafi. Articuler pour lui le transport de ces livres. Clarifier enfin, et pour lui et pour moi, leurs bouleversants réveils.


  

Lucien Jean-Baptiste tient le rôle de Patrick Chamoiseau dans le film

Patrick Chamoiseau avait eu l'occasion de revenir sur cette rencontre marquante, qu'il a relatée en 1997 dans son essai Écricre en pays dominé. Ci-dessous, les pages consacrées par l'écrivain à sa rencontre avec Loïc Léry à la prison de Fleury-Mérogis.

L'éducateur : l'autre face

de Patrick Chamoiseau

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Loïc Léry une fois incarcéré à Fresne puis Fleury-Mérogis, fera la rencontre d'un éducteur en prison mandaté par le mnistère de la justice, un certain Patrick Chamoiseau. L'ouvrage raconte cette rencontre décisive et dans le film, le rôle de Chamoiseau est tenu par Lucien Jean-Baptiste.

Le Gang des Antillais, Préface de Marcel Manville (1985)

Lors de son procès aux Assises, Loïc Léry fut défendu par le célèbre avocat pénaliste Marcel Manville, qui préfaça par ailleurs Le Gang des Antillais dans sa première édition de 1985.

L'ITM vous propose ici cette préface mémorable.

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Sur Outre-Mer 1ère  : Entretiens avec Loïc Léry et Jean-Claude Barny lors du tournage du Gang des Antillais

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Sur Africultures : critique et

entretien avec Loïc Léry

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Dans Le Monde : Le Gang des Antillais ou l'histoire vraie d'un groupe de braqueurs des années 1970"

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C'est un film événement, fondé sur des faits réels et adapté du best-seller, récit autobiographique de Loïc Léry, Le gang des Antillais publié dans sa première édition en 1985 aux Éditions Désormeaux (republié en 2016 chez Caraïbéditions). Le film a remporté un succès considérable lors de sa sortie aux Antilles en octobre 2016. Présentation, liens et documents sur ce film primodial.

Sortie nationale 30 novembre 2016

© INSTITUT DU TOUT-MONDE

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LE GANG DES ANTILLAIS

Film de Jean-Claude Barny tiré du récit autobiographique de Loïc Léry

  

(Édouard Glissant, Une nouvelle région du monde, 2006)

"Nous avons rendez-vous où les océans se rencontrent..."