"Les Dossiers de l'Institut du Tout-Monde" vous proposent des focalisations sur certains points liés à la philosophie générale de l'institut. Les créolisations, l'idéal de Relation, la trame plurielle et tremblée des interculturalités agissantes : les axes, en somme, qui furent ceux qu'Édouard Glissant avait voulus aux fondements de l'Institut du Tout-Monde, quand il le fondait en 2006. Une approche intuitive que nous déclinerons au gré de ces nouvelles propositions du site.
À lire, sur le site du Monde : "En Caroline
du Sud, le drapeau confédéré ne flottera plus sur le Capitole"
Et puis, il faut croire en ce qui est devenu au fil du temps un adage, "les États-Unis sont une grande démocratie" : le Parlement de Caroline du sud a voté le jeudi 9 juillet le retrait du drapeau confédéré du capitole de l'État, par 94 voies contre 20. Ce drapeau si lourd de symbole a été définitivement retiré du Parlement de l'État le vendredi 10 juillet 2015. Une victoire considérable, acquise dans le sang mais aussi la mémoire active et féconde du passé.
L'esclavage dans l'histoire
des États-Unis Prod. Danté J. James
(Toute l'Histoire, 2008)
Et puis, pour en savoir plus... Un panorama de qualité de l'histoire de l'esclavage aux États-Unis, de la déportation massive des Africains vers les plantations de coton, aux luttes pour l'émancipation du XIXe siècle. Avec d'excellents universitaires spécialistes de l'histoire des Etats-Unis, une mise en perpective du drame fondateur de l'esclavage dans le peuplement américain et la problématique raciale au coeur de la société américaine. La valeur pédagogique de ce documentaire est effective, et on pourra en faire un usage focalisé dans le cadre d'une sensibilisation didactique à la diversité des trajets historiques du phénomène de l'esclavage, entre le cas français et le cas américain.
Dylan Roof, le tueur de Charleston, arborait les drapeaux d'Afrique du Sud et de la Rodhésie, mais aussi le drapeau des Confédérés
À lire, sur le site du Libération : "Banni des supermarchés américains, le drapeau confédéré fait débat"
À savoir aussi : encore des symboles
En matière de symbole, à savoir aussi qu'une autre chanson très connue aux États-Unis, et qui fait partie de la tradition populaire, symbolise de son côté l'identité sudiste : Dixie Land, composée en 1859, a été une sorte d'hymne pour les soldats confédérés durant la guerre civile (dans un tempo rapide, elle est très connue pour avoir été jouée au fifre lors des batailles). Elle exprime beaucoup de cet esprit "Dixie" (sorte de sunom donné au Sud des États-Unis), fait de revendications d'un ordre ancien ("I wish I was in the land of cotton / Old times there are not forgotten") avec ses traditions bien établies. Des sous-entendus finalement très clairs. Ci-contre, une particition de 1900 de Dixie Land, assez éloquente.
À savoir aussi : l'église dans laquelle les neuf Américains, l’Emanuel African Methodist Episcopal Church, est un symbole du combat contre l'esclavage dans le sud des États-Unis. Durant l'esclavage, elle abritait les militants abolitionnistes, et fut détruite pour cette raison en 1822 avant d'être reconstruite à la fin de la guerre civile. Les membres de la congrégation aidaient les esclaves en fuite de rejoindre les États du Nord. Un symbole de la lutte pour l'émancipation que ne manquait pas de cibler le Ku Klux Klan et qui a donc été le 17 juin 2015 de l'un des massacres racistes les plus sanglants de l'histoire du pays. L'eslavage, "un passé qui ne passe pas", pour reprendre une expression désormais pavlovienne. Uné mémoire entêtante, et qui continue d'être au cœur de la mentalité américaine. Lisez Faulkner, Mississippi, d'Édouard Glissant.
À lire, sur le site du France Tv info : "Fusillade de Charleston : la haine viscérale de Dylan Roof"
Le "Stainless Banner", drapeau des États confédérés, symbole des sudistes au cours de la Guerre de Sécession,
continue d'être revendiqué.
Barack Obama, dans son discours du 26 juin 2015 à Charleston, en hommage aux victimes de la tuerie du 17 juin (oraison funèbre de Clementa Pinckney, pasteur de l'Emanuel African Methodist Episcopal Church et sénateur des États-Unis) demande le retrait du drapeau confédéré du Capitole de Caroline du Sud. Un discours historique.
Il faut en effet peut-être rappeler tout ça, qui devraient être des évidences pour chacun, pour comprendre comment en 2015, un jeune américain de 21 ans, nourri au racisme et à l'idéologie suprémaciste si profondément ancrés dans ce "Deep South", pouvait revendiquer sur Internet le drapeau sudiste, aux côtés des drapeaux de l'Afrique du Sud et de la Rhodésie, parce qu'elle furent des nations ségrégationnistes. Seule une imprégnation du poids de l'Histoire, de ces plaies ouvertes provenant d'une guerre civile qui en fait n'a jamais cessé dans les esprits dans le sud du pays, peut permettre de comprendre comment un pauvre type peut, en 2015, pénétrer dans une église et abattre de sang froid neuf personnes lors d'une réunion d'étude la la Bible, au seul prétexte que ces personnes sont noires. Une haine raciale et revendiquée et la volonté de déclencher une guerre raciale, à Charleston où avait débuté la guerre civile. Dylan Roof, un raciste ordinaire de Caroline du Sud où sévissait le Ku Klux Klan, et où flotte encore sur le Capitole de l'état, le drapeau des Confédérés, symbole des esclavagistes. Alors oui, seul le président de l'Union, de l'État fédéral, pouvait exiger le retrait de ce drapeau, insulte faite à la mémoire des esclaves et aux Noirs Américains.
Mais l'État américain est fédéral, une loi devait par conséquent être votée en Caroline du Sud pour que ne soit plus arboré ce symbole sudiste pris comme étendard par tous les nostalgiques de l'esclavage.
Bande-annonce du film de 2006 de Michael Apted, Amazing Grace, qui retrace le combat de William Wilberforce et du mouvement abolitionniste anglais.
Une Histoire et des symboles
Rien, résolument rien n'est anodin, dans cette succession de symboles, intériorisés pour leur valeur éminemment politique. À commencer par Amazing Grace, qui n'est n'est donc pas un chant choisi au hasard en ce jour d'hommage par Obama. Son histoire étonnante est assez typique de la notion de rédemption ("born again") propre à la religiosité de la chétienté américaine, car il s'agit justement d'un chant de rédemption au cœur de l'histoire nationale. Les paroles de ce chant furent écrites en 1779 par John Newton, capitaine anglais de navire négrier qui, le 10 mai (oui, ce n'est pas une blague : le 10 mai) 1748, après qu'une tempête manqua de faire sombrer son navire en plein océan atlantique, décida d'abandonner le trafic d'esclaves avec la colonie britannique sur les côtes américaines et se convertit au christianisme. Affirmant avoir été sauvé du naufrage par la volonté de Dieu, il décida de se repentir intégralement de son ancienne vie et surtout de sa pratique de la traite négrière. Il devint prêtre anglican et surtout l'un des militants les plus farouches, jusqu'à la fin de sa vie en 1807, de la cause abolitionniste. C'est à ce titre qu'il se lia d'amitié avec William Wilberforce, député britannique qui obtiendra en 1833 le vote du Slavery Abolition Act, qui abolit l'esclavage dans la majeure partie de l'empire britannique. C'est d'ailleurs l'année même de la mort de John Newton, en 1807,que la traite est interdite en Grande-Bretagne, grâce à l'ardente campagne de William Wilberforce, qui peut être considéré à ce titre, un peu comme le "Schœlcher britannique". L'histoire du combat de William Wilberforce et du mouvement abolitionniste britannique a été restituée dans un excellent film réalisé en 2006 par Michael Apted, Amazing Grace, dans lequel une large part est faite à l'amitié de W. Wilberforce et de John Newton. La "rédemption" de l'ancien négrier qu'était Newton et sa lutte pour l'abolition inspira dans les faits considérablement l'action politique de William Wilberforce. L'occasion de rappeler à ceux qui l'auraient perdu de vue, que la Grande-Bretagne abolit la traite 41 ans avant la France, et l'esclavage 15 ans avant la France ; rappeler aussi que la Royal Navy prendra en chasse à partir de 1833 les bateaux négriers, et que de nombreux navires français ainsi pourchassés jetteront par-dessus bord leur "cargaison de bois d'ébène" avant d'être arraisonnés.
Mais les symboles ne s'arrêtent pas là. Dans son discours du 26 juin, Barack Obama, en tant que Président des États-Unis, à savoir très précisément de l'Union qui découle de la Guerre de Sécession, fustige avec véhémence la persistance dans certains états du Sud, et notamment en Caroline du Sud où a été commis le crime odieux du 17 juin, du drapeau des Confédérés, drapeau des états sudistes, esclavagistes. Faut-il rappeler que la très violente guerre civile américaine eut comme ressort la question de l'esclavage (sa persistance dans le sud, et la volonté de Lincoln, élu en 1860, d'obtenir son abolition) ? Faut-il rappeler que l'abolition américaine naît de cette immense boucherie, considérée par les historiens comme la première guerre moderne, du point de vue des nouveaux moyens déployés, mais aussi des pertes ? Faut-il rappeler qu'il aura fallu quatre ans de combats, de 1861 à 1865, pour que le Nord abolitionniste mené par Abraham Lincoln parvienne à imposer sa loi aux états sudistes ? Faut-il rappeler aussi que c'est justement dans la baie de Charleston qu'éclatent en avril 1861 les premiers combats de cette guerre civile dont naîtra la nation américaine d'aujourd'hui ?
Comme l'a encore illustré le drame de l'effroyable tuerie perpétrée par Dylan Roof mecredi 17 juin 2015 dans une église de Charleston (Caroline du Sud), l'appréhension des faits d'actualité au gré desquels les États-Unis sont régulièrement replongés dans la persistance des blessures de l'Histoire du pays - avec en leur centre la mémoire de l'esclavage - nécessite de connaître un certain nombre de réalités historiques justement, et de symboles de cette histoire aussi qui, eux, sont bien connus des Amércains eux-mêmes. Dans les compte rendus médiatiques de ce genre de drame et des réflexions générées dans leur sillage, on passe souvent en France à côté de ces réalités et de ces symboles-là, s'interdisant par là-même de décrypter correctement tout ce qui continue d'être en jeu aux États-Unis autour de l'identité d'une nation déchirée dans son histoire, par la ségrégation raciale et le passé esclavagiste. L'occasion de comprendre enfin que ce qui se joue dans la mémoire de l'esclavage qui n'est pas une marotte, une obsession névrotique ou je ne sais quel ressassement d'un passé dépassé : pour les États-Unis, cette mémoire continue d'être un nœud gordien, comme il l' été dans son histoire.
Et commençons par ce symbole fort entre tous : vendredi 26 juin 2015, lors de l'hommage organisé aux 9 morts de la fusillade à l'Emanuel African Methodist Episcopal Church où elle a été commise, Barack Obama entonne le chant Amazing Grace. Les médias français, peu informés, en parlent alors comme d'un "hymne chrétien". Certes. Mais ce qu'ils oublient de préciser, et qui est connu de presque tous les Américains, est la charge historique et symbolique lourde de ce chant. Une charge directement liée, précisément, à ce qu'est dans ce pays la mémoire de l'esclavage, ce qu'elle représente en terme de de définition de l'Union et en cela, inséparable des séquelles encore prégnantes de ce que fut la guerre civile américaine, quand Obama l'évoque après avoir fustigé la présence du drapeau des Confédérés en Caroline du Sud.