5. « L'héritage » - Entretien avec Mathieu Glissant
Entretien inédit avec le fils d’Édouard Glissant, Mathieu Glissant. Aujourd’hui réalisateur, Mathieu Glissant nous raconte son lien singulier de filiation avec son père, et nous livre les œuvres qui pour lui laissent une trace majeure dans notre monde-chaos.
Dès le début, Edouard Glissant se place à côté des questions de filiation. Son fils, Mathieu Glissant, réalisateur, identifie un lien très proche entre ce qu'il fait, le cinéma, et l'œuvre de son père : « si on parle de l’héritage glissantien, la question du cinéma pourrait être un objet d’étude. » Car la pensée d'Edouard Glissant irrigue tous les champs de la pensée et de la création, de la peinture au cinéma.
Qu'est-ce que le poète et philosophe laisse en héritage ? Entre le chaos, l'indéfini et la liberté de se penser soi-même.
« Édouard Glissant vivait comme il pensait, dans sa personnalité même, on retrouvait cette sensibilité au monde. Etant l'un de ses enfants, il est certain que cela a déteint sut moi. » (Mathieu Glissant)
Pour Édouard Glissant, l'on peut se définir soi-même, il existe cette idée de densité, dedans et hors, dans une recherche perpétuelle. Dans la vie d’un individu, il faut avoir la conscience qu’on est fils du chaos, et c'est de ce point de vue que Glissant parle aux déracinés.
« Le fait de ne pas s’inscrire directement dans une lignée est une forme de trop plein. » (Rachel Khan)
« Édouard Glissant a souvent essayé de trouver un pont avec les Afro-américains. Et même si lorsqu'il travaillait aux États-Unis, certains penseurs ne partageaient pas la même sensibilité que lui, il a toujours éprouvé un certain respect pour cette démarche qui est celle de vouloir se préserver ensemble, dans une forme d’unité et de rassemblement. » (Mathieu Glissant)
Concluant cette série, Mathieu Glissant évoque le choix auquel fait face tout lecteur de l'œuvre du philosophe Edouard Glissant : « soit on choisit sa racine, soit on décide de pouvoir se considérer comme fils et étranger tout à la fois »
4. « La poésie glissantienne » - Entretien avec Jean-Pol Madou
Jean-Pol Madou s'exprime sur le lien qu’entretient Glissant avec la poésie, comment l’auteur a fait de l'écriture poétique un acte presque politique en y plaçant l’esthétique et l’histoire en son centre.
Chez Édouard Glissant, tout commence avec la figure du conteur créole, qui fait surgir les esprits de l’Afrique lointaine, sur fond d’oubli et de sacré. Comme si la langue maternelle, le créole, était habitée par quelque chose de mystérieux d'une source indéfinie. Cette opacité de l’autre restera toujours une notion positive pour l'auteur, jusque dans sa poésie.
Jean-Paul Madou, invité de cette émission, retrace l'enfance et l'adolescence d'Edouard Glissant, peu à peu initié à la poésie française contemporaine. Saint-John Perse est un héros pour Glissant, notamment parce que dans un passage, le poète décrit la table familiale avec en fond des serviteurs noirs.
Mais Saint-John Perse reste une parole de l’universel, aspect que Glissant n’aime pas réellement. Il lui préfère un système ouvert, un processus jamais achevé, qui marque la béance et l’inachèvement.
« Tout ce que Glissant pense, il le pense et l’écrit en poète. La poésie est un dire plus fondamental que la philosophie proprement dite pour lui. On retrouve aussi cela chez René Char, la poésie ne rythme plus l’action, elle est en avant. C'est cette idée que le poète est toujours en avance du philosophe et du politique. »
(Jean-Pol Madou)
3. « Le Tout-Monde : concept ou notion ? » - Entretien avec Loïc Céry
Cet entretien avec Loïc Céry, directeur du Centre international d’études Édouard Glissant au sein de l’Institut du Tout-Monde, nous offre les pistes de compréhension de l’auteur à travers le « Tout-monde ».
Le Tout-monde est l’un des principes majeurs de la pensée glissantienne. Un apport intellectuel fondateur dans notre monde morcelé.
« La communauté monde est la plus menacée aujourd’hui. Je pense qu’essayer de la constituer est actuellement la chose la plus difficile. Si on en reste encore aux états nations et à l’exclusion, il y aura un massacre tous les dix ans. Je crois qu’il faut changer nos imaginaires, c’est le rôle de la littérature aujourd’hui. »
Édouard Glissant
« Aujourd'hui, avoir raison avec Edouard Glissant, c'est se méfier des systèmes de pensée. » Loïc Céry
Edouard Glissant offre des outils pour penser cette présence mais avant tout, permet une indépendance de pensée qui se défait de toutes les simplifications.
Loïc Céry est l'auteur en 2020, de Édouard Glissant, une traversée de l'esclavage (Éditions de l'Institut du Tout-Monde, coll. « Idées ») et directeur de publication de la revue Les Cahiers du Tout-Monde dont le N° 1 vient d'être publié, en juillet 2021.
2. « Interroger la créolisation » - Entretien avec Sam Coombes
Sam Coombes, auteur de Edouard Glissant a poetics of resistance explique la notion de créolisation inventée par Glissant. Les erreurs à ne pas faire, les distinctions importantes à souligner, notamment entre le métissage ou la créolité. De quoi réfléchir sur une ouverture inédite au monde.
La créolisation est un processus et non pas un état de fait, ce qui correspond à l'idée glissantienne selon laquelle "rien n'est vrai, tout est vivant, en mouvement."
Tandis que la créolité correspond à une identité culturelle des Caraïbes, chez Edouard Glissant, la créolisation dérive de la créolité. Et c'est ce mouvement inspiré de la culture d'origine de Glissant qui lui permet de s'éloigner des vieux binarismes. « Même si Edouard Glissant se détache de la négritude, il faut se garder d'accuser la négritude d'un essentialisme racialisant. C'était une façon de rendre compte d'une somme d'existence. » (Sam Coombes)
Car l'une des particularités de la pensée d'Edouard Glissant est de s'ancrer à la fois dans le local tout en étant fondamentalement ouverte sur le monde.
La créolisation est incluse dans un système philosophique qui fait partie d’un anti-système, d'où son caractère opaque revendiqué par Edouard Glissant. Puisque c’est une pensée qui elle-même parle du mouvement et est en mouvement, toujours imprévisible.
Voir la séance de 2018 du Séminaire de l'ITM avec Sam Coombes
1. « L'homme » - Entretien avec Sylvie Glissant
Quel homme était Édouard Glissant ? Pour répondre à cette question et commencer à esquisser la structure de sa philosophie, Sylvie Glissant, celle qui l'a accompagné tout au long de sa vie et qui connaît le mieux sa personne.
L’artiste plasticienne et épouse d'Édouard Glissant revient sur leur rencontre, leurs amis, le caractère et les obsessions de l’auteur. Comment se vit une relation dans la philosophie de la relation de Glissant ? Sylvie Glissant nous raconte une part intime de l’auteur.
Sylvie Glissant accompagne Édouard Glissant au cours de sa vie, déployant une pratique artistique de son côté, qui poursuit, peut-être, l’héritage glissantien par la peinture.
« Les amis d’Édouard étaient vraiment ses frères, à la fois en poésie et en politique. » (Sylvie Glissant)
Au fil de la discussion, se dégage l'idée qu'avoir raison avec Édouard Glissant c’est peut-être "avoir compris notre rapport au vivant, à sa matière et à sa nature que l’on découvre comme imprévisible et inextricable, à cette nature qui finalement n’existe que dans l’échange." Sylvie Glissant pense qu'il est important de comprendre que ce vivant est notre réel, que c’est ce qui s’oppose aux pensées de système qui contrôlent et régissent le monde.
« Je pense que c’est aussi comprendre qu’on ne peut exister sans cette présence de l’autre. Je crois que cette idée de la présence peut se perdre. » (Sylvie Glissant)