"Les Dossiers de l'Institut du Tout-Monde" vous proposent des focalisations sur certains points liés à la philosophie générale de l'institut. Les créolisations, l'idéal de Relation, la trame plurielle et tremblée des interculturalités agissantes : les axes, en somme, qui furent ceux qu'Édouard Glissant avait voulus aux fondements de l'Institut du Tout-Monde, quand il le fondait en 2006. Une approche intuitive que nous déclinerons au gré de ces nouvelles propositions du site.
Un critique persien fameux, défricheur irremplaçable, a coutume de distinguer les persiens des persolâtres, et des persistants, se réclamant de cette dernière catégorie. Les lecteurs aussi devraient s'inspirer de cette attitude "persistante" qui, à l'instar de la postérité de Saint-John Perse est seule de nature à tenir tout vrai lecteur de cette œuvre hors d'atteinte des étroitesses de l'époque. Le 20 septembre 1975, mourait Saint-John Perse à Giens, et débutaient les présences immortelles d'une parole incandescente.
Sophie Bourel lit "Chanté par Celle qui fut là" et Chronique, VIII (Rencontres Saint-John Perse, La nouvelle anabase, Paris, Théâtre du Lucernaire, 2006)
Alors oui, il redevient urgent, plus que jamais en des temps de perte, de vide et de détresse généralisée, de relire et d'écouter à neuf cette parole de grand sens, et ce très haut regard porté sur le cours des hommes et du monde. Plus que jamais, la lire, l'écouter, l'explorer. Et l'écouter donc, comme il est loisible de le faire à la faveur de ceux qui ont su le mieux la dire :
« De l'abîme éternel on voit sortir les âges
Comblant à pas de loups l'ancienneté des cœurs,
Et sur ces hauts plateaux dont vous êtes le sage
Monte le temps secret
des grandes profondeurs. »
« J'honore en Saint-John Perse l'homme de mon temps le plus assidûment
en quête de tous les hommes. »
« Pour tous les écrivains de ma génération, votre œuvre a incarné la poésie dans ce qu'elle semble porter en elle d'invulnérable. »
André Malraux
« L'œuvre de Saint-John Perse : un exemple de force et de mesure dans l'usage de la force, la réussite la moins commune, un chef-d'œuvre nourri d'une exubérance infinie, qui apporte un modèle d'impeccable dignité et qui présente le calme et l'ordonnance des grands styles.»
« Il y a dans l'œuvre de Leger, comme aussi dans sa personne même, lorsqu'on a le bonheur de l'approcher, je ne sais quoi de princier
qui m'intimide. »
« Découvrir les œuvres
de Saint-John Perse au moment même où je croyais disparue la poésie, ce fut un événement
dans ma vie. »
Redécouvrir, lire et relire : diffuser
Finalement rien n'y fait : ni les fatigues pathologiques d'une époque, ni les stratégies, ni les calculs, ni les positionnements corporatistes cherchant à forclore l'invulnérable. La poésie de Saint-John Perse résiste au temps, bien sûr aux modes, et à tous les discours stratifiés de relégation. Face à ce constat, faut-il créer et que faire de cette permanence ? L'accompagner sûrement, en éclairages féconds, en accents nouveaux d'une diffusion que rien ne blase. L'enseignement, oui, on l'a vu, est porté à bout de bras par de nouveaux hussards qui savent mettre leur talent au service des jeunes esprits. Mais aussi toutes les voies, les plus nouvelles et celles qui restent encore à défricher.
Redécouvrir Perse, c'est donc aussi savoir se libérer des carcans bavards dans lesquels on a voulu tenir l'accès à sa poésie qui toujours, sera libre de toutes les contraintes et de toutes les béquilles de pensée, toutes les synthèses même les mieux nées ("Lavez ô pluies..."). Redécouvrir Perse, c'est avant tout s'approprier son œuvre, dans la puissance de son verbe. Clôturant le colloque "La Justice du 21e siècle" à l'UNESCO le 11 janvier 2014, Christiane Taubira, Gardes des Sceaux, Ministre de la Justice, citait Chronique : "Si haut que soit le site, une autre mer au loin s’élève, et qui nous suit, à hauteur du front d’homme". Dire le verbe poétique, pour s'en saisir à vif et pour mieux vivre.
Et c'est redécouvrir aussi ce que fut cette poésie depuis sa publication : une fulgurance au cœur et à l'esprit des lecteurs, et des créateurs, avant que ne vienne la somnolence et les temps de jachère. Car oui, cette œuvre ne fut pas seulement couronnée, elle fut admirée par tant d'hommes en leurs voies et façons, qu'on ne saurait en faire l'inventaire. Se rappeler simplement, pêle-mêle, de ceci :
Voilà donc ce qu'il en est réellement de la lecture de Saint-John Perse aujourd'hui. Il faudra donc bien revoir les habitudes qu'on a prises, de dire que ce poète est délaissé, ou autres fadaises du genre, colportées à l'envi, en ne se fondant sur aucune donnée chiffrée. Ces chiffres sont têtus, il témoignent d'une réelle, incontestable, et persistante postérité. Et je pourrais vous en écrire des pages et des pages, sur ce que révèlent ces chiffres, et la soif inextinguible qui s'y lit, et l'ardeur plus que consolante, et la vigueur, et la puissance pistée dans l'intimité des lectures, et le silence invulnérable de la découverte de cette parole poétique. Je pourrais, mais je préfère m'en tenir à cette réalité-là, revigorante pour le moins, et qu'il vaut mieux ne pas commenter au risque de l'euphémisme. Relisez. Oui, Perse est aujourd'hui lu, et lu dans des proportions inattendues.
Quand André Velter, qui dirige depuis tant d'années la collection Poésie de Gallimard, livre les vrais chiffres de vente de Perse...
Les persistances d'une postérité
Ce qui dérange peut-être les esprits malveillants, c'est l'étonnante postérité de la poésie de Saint-John Perse, dont il faudrait certainement bien des espaces pour en établir la vivacité - et c'est aussi l'objet des études de réception. Il se trouve que contrairement à ce que beaucoup croient aujourd'hui en France, compte tenu de son accès réputé difficile comme on se plaît à le répéter tel un mantra, Saint-John Perse est encore l'un des poètes les plus lus. Et je ne veux pas dire simplement les plus étudiés, car cela reviendrait uniquement à considérer le public étudiant et la sphère universitaire. Non, je veux bien dire les plus lus. Et j'imagine que cette affirmation en étonnera plus d'un, même les persiens convaincus, mais également convaincus que "leur" poète n'est guère plus lu que par une poignée de vaillants amateurs de poésie résistant à l'air du temps. Eh bien figurez-vous qu'il n'en est rien ! En juin 2015, une déclaration est passée inaperçue, et elle vaut pourtant son pesant d'or pour nous tous : le poète André Velter, qui dirige depuis quelques années la collection Poésie / Gallimard a déclaré ceci, dans un entretien donné au site Actua Litté - Les univers du livre :